Marie-Pierre, la dame de fer (Portrait)

Bouaké360-Bouaké (Côte d’Ivoire)

Marie-Pierre Kouakou, ferronnière à Bouaké, dans la deuxième ville ivoirienne a réussi avec détermination malgré sa frêle silhouette à embrasser un corps de métier dominé par les hommes, où, la force physique est souvent recommandée pour exécuter des travaux. Portrait

Marie-Pierre Kouakou, la dame de fer

« La ferronnerie n’est pas exclusivement liée à la force physique, l’intelligence joue également un grand rôle dans ce métier », rétorque de sa voix fluette la stagiaire trouvée à l’atelier de construction métallique YKJ, situé à Ahougnanssou-Sicogi, à la périphérie ouest de Bouaké. Un bonnet noir couvrant ses cheveux, des lunettes de protection plaquées sur son visage de forme triangulaire, Marie-Pierre, une meule dans les mains, semble déterminer à finir le polissage d’une grille de protection en construction. Les étincelles qui jaillissent au contact de la meule électrique contre le fer et le bruit assourdissant que ce frottement produit sont loin d’intimider la frêle jeune fille, de 45 kg avec ses 1m 57.

Cela fait déjà trois mois que la jeune apprenante a entamé un stage dans l’entreprise YKJ pour se faire la main, après l’obtention d’un Brevet de technicien (BT) option construction métallique au Collège d’enseignement technique (CET) de Bouaké.

Pourtant rien ne prédisposait cette timide jeune fille à la démarche nonchalante à faire ce travail de façonnage du fer. En Côte d’Ivoire, les ferronniers s’intéressent principalement à la fabrication de produits liés à la sécurité, notamment des portails, fenêtres, et grilles de protection.

« Je n’avais jamais entendu parler de construction métallique auparavant, tout ce que je savais du travail du fer se rapportait au métier du forgeron qui fabrique des dabas », se souvient la jeune apprentie. « Tout naturellement, c’est donc avec beaucoup d’appréhension et d’inquiétude que j’ai accueilli la nouvelle de mon admission pour une formation dans ce corps de métier. Franchement, je me faisais beaucoup d’idée avant mon arrivée au CET-Bouaké », ajoute avec un brin d’étincelle dans les yeux, la fervente chrétienne catholique.

C’est en 2018 qu’elle intègre après un concours, cet établissement pilote de formations qualifiantes et diplomantes en BT et CAP (Certificat d’aptitude professionnel).

Marie en plein cours pratique

Née le 1er janvier 1996 à Koun-Fao, dans le nord-est ivoirien, Marie-Pierre Kouakou a eu un parcours scolaire jonché de plusieurs échecs. Apres son cycle primaire à l’école municipalité de Koun-Fao, elle est orientée au collège moderne de la ville, où elle échoue à son examen du BEPC. Elle repend sa classe au collège MUCRES, un établissement privé et fini par être admise à son examen. Marie restera donc dans ce collège jusqu’en classe de terminales. Apres 2 échecs successifs au baccalauréat. Elle se présente 2 autres fois en tant que candidate libre mais la défaite reste cuisante pour la native de Koun-Fao. Elle est effondrée après ces quatre années à courir derrière le bac. C’est en ce moment précis qu’intervient un oncle de la famille, qui lui propose de s’orienter vers l’enseignement professionnel.

L’adolescente accepte la proposition de son oncle et s’inscrit pour le concours d’entrée dans une école de formation professionnelle. C’est à Daloa, dans le centre-ouest ivoirien qu’elle passe l’examen. Elle est admise et orientée au CET de Bouaké.

L’arrivée de la jeune Agni de Koun-Fao à Bouaké, en plein cœur du pays Baoulé n’est pas quelque chose d’aisée pour elle. Au CET, l’internat n’est ouvert qu’aux garçons. Elle devra donc trouver un domicile où dormir. « J’ai pu trouver une maison en location à 10000 Fcfa par mois. C’est mon frère qui paie le loyer depuis 3 ans. La bourse de 36000 Fcfa par an octroyée par l’Etat ne peut donc pas résoudre ce dilemme », révèle Marie-Pierre, un sourire narquois aux lèvres.

De son regard perçant, elle scrute l’horizon un moment avant de se lâcher. « Franchement, après ces 3 années passées à l’école, c’est comme si on réapprend tout ici, en stage. On a reçu que des cours théoriques tout au long de ces années à l’école. Pourtant il est inscrit 4 heures de TP (Travaux pratiques) par semaine dans notre emploi du temps mais en définitive c’est à peine que nous avons touché aux postes de soudure ou autres étaux pourtant présents en nombre dans l’atelier de l’établissement ».

Marie et son binôme Affoussiata

« C’est vrai que l’apprentissage n’est plus de pointe dans nos écoles de formation », reconnait Yao Kouadio Julien, le directeur de l’entreprise YKJ, qui reçoit en stage Mlle Kouakou. Selon ce chef d’entreprise, ancien élève du CET de Bouaké dans les années 90, il y a eu un grand changement dans l’offre de formation depuis lors. « Les enfants arrivent ici mais sont obligés de tout apprendre, souvent à zéro. En général, ils ne possèdent aucune notion pratique quand ils arrivent en stage chez nous. C’est vraiment dommage. Ce n’était pas le cas au moment où nous on se formait. Les choses ont vraiment changé », fait remarquer M. Yao, exhortant les autorités compétentes à trouver une solution durable à cette situation d’inadéquation formation-emploi.

« En général, les filles qui arrivent dans ce métier s’intègrent souvent plus facilement que les hommes », révèle-t-il par la suite, en réponse à une question sur le taux d’abandon des filles dans ce métier. « Jusque maintenant, sur la dizaine de filles que j’ai formé au cours des dernières années, elles continuent presque toutes dans ce métier. Deux parmi elles ont même été engagées dans de grandes entreprises navales en Europe ». Ce témoignage du patron de l’entreprise YKJ, vient donc balayer du revers de la main d’autres propos recueillis auprès d’apprentis garçons, qui pensent que ce métier n’est pas fait pour les femmes, car, « trop faibles » physiquement pour tenir, selon ces derniers.

Cette remarque de ces apprentis est également battue en brèche par les deux autres filles de l’atelier. « Plus on me critique, plus cela me donne le courage de bien faire », lance, Coulibaly Affoussiata, le binôme de Marie-Pierre. Elles sont toutes les deux issues de la même promotion au CET.

« Les femmes peuvent exercer tous les métiers du monde, il suffit d’une volonté de fer et le tour est joué », complète, rageuse, Kouamé Miahia Bernadette, la 3è apprentie de l’atelier. Elle a un parcours différent des deux autres stagiaires. Apres son échec au BEPC, elle décide d’apprendre un métier. C’est ainsi qu’elle découvre la ferronnerie qu’elle finit par embrasser. « J’aime véritablement ce métier. Apres mon apprentissage, je vais m’installer à mon propre compte », conclut-elle sereine.

Quant à Kouakou Marie-Pierre, elle reste incertaine sur l’issue à donner à sa vie professionnelle. « Tout va dépendre de la décision de mon frère qui s’occupe de moi financièrement depuis que j’ai intégrée le CET de Bouaké, il ya 3 ans », confie-t-elle, les yeux perdus dans le vide.                                                

De toutes les façons, deux voix s’ouvrent désormais devant Marie-Pierre Kouakou. Tenter le cap de la reconversion ou marquer l’histoire en se positionnant comme l’une des rares femmes ivoiriennes à exercer dans le travail du fer.

Cheik Koné

Titre de l’article inspiré par Israël Guébo

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